Pour que le « prendre soin » devienne un nouvel indicateur de richesse – un appel de Sophie Marinopoulos
Texte diffusé par la Maison d’édition Les Liens qui libèrent
Sophie Marinopoulos est psychologue, psychanalyste, experte des relations parents/enfant et fondatrice de l’association “Les Pâtes au Beurre”. Egalement co-fondatrice des Liens qui Libèrent, elle a récemment signé un rapport sur la Santé culturelle des enfants. Au temps du Covid-19, Les Liens qui Libèrent publient régulièrement des contributions de leurs auteur.e.s sur la crise actuelle.
Quand les métiers du lien si longtemps dépréciés se révèlent essentiels et vitaux pour la société
Qui s’intéresse aux lieux d’accueil pour les familles ? qui sait que dans certaines villes existent des endroits où les parents peuvent aller et juste pousser la porte pour être écoutés, soutenus, accueillis ? Quels sont ces lieux où l’hospitalité dans son « prendre soin » reste une valeur première ? Que derrière cet aménagement des professionnels s’organisent pour « être là », « simplement là » pour les défis de la vie. Pour que chacun sache qu’il n’est pas seul et que l’histoire de toute espèce vivante repose sur l’entraide. Sans elle pas de vie, pas d’espèce, qu’elle soit humaine, animale, végétale.
L’heure est rarement à l’écoute des métiers du lien, des métiers du vivant porté par la parole et le dialogue. Et encore moins aux lieux solidaires qui en prenant soin des parents et de leur enfant, prennent soin de la société. Et pourtant ces lieux portent en leur sein toute la complexité de nos sociétés.
L’écoute devient ainsi accueil
Convaincue que la solidarité est un indicateur de richesse sans précédent, j’ai créé en 1999 un lieu d’accueil pour les familles « Les Pâtes au Beurre », dans lequel des milliers de mères, pères, grands-parents, enfants ont passé le seuil de la porte. Depuis d’autres Pâtes au Beurre ont vu le jour en France. Mais quel que soit la ville d’implantation, l’accueil reste le même. A l’heure des tracasseries administratives, là, juste une porte à pousser. C’est pour tous gratuit, anonyme, sans rendez-vous. On vient comme on veut avec ou sans enfant et qu’importe l’âge de celui-ci. La solidarité se tient dans cette présence, simple, où l’hospitalité est inscrite dans les mots de bienvenus des accueillants. Tous sont des spécialistes de la psyché qui ont troqués leur bureau pour recevoir dans une cuisine. Une pièce familière où les confidences prennent l’allure de mots chuchotés, de larmes, de colère, de déceptions, et où la vie de famille est exposée dans ses défis.
Ecouter, soutenir les capacités parentales est à l’œuvre. A l’heure de la recette pour « être un bon parent » à haut risque de disqualification du singulier, une présence à contre-courant s’avère utile pour soutenir une parole propre. Ainsi quand le doute, l’hésitation, le sentiment d’effroi et de perte osent sortir du silence c’est toute une part d’humanité oubliée, rejetée, muselée qui s’invite. Chemine alors l’élaboration d’une affirmation de soi d’où surgit un soulagement. L’écoute devient ainsi accueil, hospitalité, dans une posture d’acceptation de ce manque avoué, créateur de solutions.
Aujourd’hui si nous sommes confinés, nous sommes là avec notre ligne téléphonique (2) sur laquelle les parents se confient.
Et étrangement si le confinement a bouleversé nos vies, vous les parents questionnez à l’identique témoignant que la vie familiale est en soi un risque permanent de se sentir confiné, envahi et de voir son intimité empiétée quand les colères, les exigences, le bruit, les devoirs, les charges du quotidien occupent la vie ensemble…
Notre culture humaine est celle des liens
Le changement est bien là toutefois, dans l’espace social et médiatique qui ouvre les yeux sur la condition de « l’être parent » et celle « d’être un enfant ». Le confinement a eu raison du silence habituel qui entoure la vie familiale dans son intimité. A notre plus grande satisfaction on s’inquiète de leur santé et particulièrement de leur santé dans leur relation prenant en compte la qualité de leurs liens. Un sujet qui m’est cher et pour lequel je tente par tous les moyens dans faire une question de Santé Publique. Et pour cause, l’égalité des chances en termes de santé relationnelle, est la voie royale de la paix. La paix personnelle qui prend la forme d’un apaisement, la paix sociale qui s’exerce dans la démocratie participative, la paix mondiale qui repose sur l’écoute de l’autre dans sa différence. Une santé que j’ai nommé récemment dans un rapport rendu en juin 2019, au ministre de la culture, la Santé Culturelle (3). Un concept qui allie « santé » et « culture » révélant la culture des humains dans leur constitution relationnelle.
Notre culture humaine est celle des liens à considérer dès la naissance du petit humain dans la relation à son parent. Une entrée certes surprenante pour parler de la paix dans le monde. Une proposition qui peut paraitre au premier abord simpliste. Et pourtant quoi de plus complexe que l’origine de notre humanité dans sa condition de dépendance native ?
Parler de Santé Culturelle en plein coronavirus n’est pas une provocation mais un appel. Car c’est bien parce que cette santé de nos relations est dégradée que j’ai souhaité tirer une sonnette d’alarme et affirmer que nos enfants de notre société moderne, « étaient malnutris culturellement », soit mal nourris dans les relations humaines. Ce constat est un véritable défi sanitaire que nous devons relever.
Ainsi ce n’est pas seulement le coronavirus qui m’inquiète mais bien les effets du confinement sur la santé des relations familiales déjà affaiblis, sans que nous en prenions collectivement la mesure. Une faillite donc qui au-delà de la dimension sanitaire prend des allures de faillite sociale. Nombreux sont les psys qui ont rappelé que prendre soin des enfants, de leurs parents c’était prendre soin de la société. Nous avons autant besoin d’un corps sain que de relations saines. Et d’autant plus quand le corps est atteint, la santé de nos liens est un réel support pour dépasser une épreuve.
Fragiles
Alors nous soignant de l’âme et des liens, nous prenons soin des relations, que le coronavirus soit présent ou non dans les foyers. Une présence qui apaise et repose sur une relation de confiance. Un mot clé à associer à l’aptitude à supporter la fragilité, la défaillance dans son expression brute. Celle qui met à nu le sujet bouleversé dans son être.
Les familles sont confinées et redoutent d’exploser. Fragiles. Une jeune mère raconte sa fille de 3 ans qui fait des colères terrifiantes qu’elle n’arrive pas à canaliser la mettant elle-même en larmes et en rage dans une posture en miroir déstabilisante ; cette autre avec son fils de 13 ans qui a levé la main sur elle avec son mari lui-même totalement dépassé par cet enfant l’ayant déjà physiquement dépassé ; une troisième parle de l’annonce de sa maladie et de son début de traitement en plein confinement avec 3 enfants rivés sur elle pour deviner « comment elle va » la faisant bégayer tant les mots n’arrivent plus; un père de 6 enfants, divorcés ayant en garde deux ados qui tournent comme des lions en cage dès qu’il éteint les écrans sentant alors qu’il joue avec le feu en les livrant à leur désœuvrement ; Un couple qui multiplie les activités pour « occuper » les enfants et s’oublie dans leurs besoins propres sentant qu’ils vont « craquer » ; Une mère transformée en institutrice à la maison et ne sachant pas quand changer de costume ni comment ; une grand-mère inquiète pour ses 3 petits enfants vivant avec leur père violent et se sentant impuissante dans la distance imposée par le coronavirus……….
Liste interminable de la vie tout simplement, de la violence familiale ordinaire toujours prête à éclore et que nous devons contenir collectivement.
Notre préoccupation générale en cette période de confinement sur « comment va la famille » est une bonne chose, mais espérons que nous transformerons l’essai en en faisant un sujet majeur de toute société moderne en transition, pour qui le prendre soin devienne un nouvel indicateur de richesse.
Sophie Marinopoulos